dimanche 26 août 2007

Politique, politique ...

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Un Juif peut-il parler du génocide arménien ?


Une association juive américaine a décidé de reconnaître le génocide arménien de 1915. Une prise de position qui fâche Ankara, mais qui embarrasse aussi Israël et les Etats-Unis. Récit. L'affaire commence il y a quelques jours dans les pages du quotidien américain The Boston Globe. Interrogé par le journal, Andrew Tarsy, dirigeant régional d'une grande association juive américaine de lutte contre l'intolérance, le racisme et l'antisémitisme – l'Anti-Defamation League (ADL) – qualifie de "génocide" le massacre de 1,5 million d'Arméniens entre 1915 et 1918 par l'armée ottomane. Aussitôt après la parution de l'interview, Andrew Tarsy est tout bonnement viré par les instances nationales de l'ADL. Une mise à l'écart qui a immédiatement soulevé une vague d'émotion au sein de la communauté juive américaine.

Pourquoi, en effet, se débarrasser ainsi d'un responsable d'une association juive, simplement pour avoir émis une opinion ? Une opinion qui est, de plus, largement partagée : à savoir que les événements visant les Arméniens en 1915 dans l'Empire ottoman constituaient bien un génocide. La réponse à cette question, il faut aller la chercher dans la presse israélienne, et plus exactement dans le quotidien Yediot Aharonot.

Abe Foxman, le directeur national de l'ADL, y explique que, si l'ADL n'a jamais voulu qualifier de "génocide" ce qui est arrivé aux Arméniens, cela tient à deux raisons. La première, c'est que l'ADL – qui reste une organisation juive – ne veut pas mettre en danger la communauté juive turque en prenant position contre la thèse officielle d'Ankara. La deuxième raison – toujours selon M. Foxman – est que l'ADL ne veut pas non plus fragiliser la sécurité d'Israël.

Qu'est-ce que la sécurité d'Israël a à voir avec le génocide arménien ? La Turquie est l'un des seuls pays musulmans à entretenir des relations normales avec Tel-Aviv. Ankara a reconnu l'Etat d'Israël dès 1949, et les deux pays ont même passé un accord militaire en 1996. Sans parler, bien sûr, de leurs intenses relations économiques. Bref, la Turquie est pour Israël un allié précieux. Et, à Tel-Aviv, les gouvernements successifs ont toujours été très discrets sur la question arménienne. D'autant que les deux pays ont aussi en commun un allié stratégique : les Etats-Unis.

Mais en quoi la position d'une association juive américaine sur le génocide arménien pourrait-elle mettre en péril les relations entre Israël et la Turquie ? La réponse à cet imbroglio presque byzantin, il faut la chercher dans la presse turque. Le quotidien d'Istanbul Zaman, qui fait d'habitude preuve de plus d'impertinence, devient presque menaçant en une de son édition d'hier lorsqu'il évoque cette affaire. Zaman rappelle en effet que deux résolutions attendent d'être votées, l'une par le Sénat américain, l'autre par la Chambre des représentants. Deux résolutions qui reconnaissent explicitement qu'un génocide a bel et bien été commis en 1915 contre les Arméniens.

Or le vote de ces deux résolutions fait l'objet d'une véritable bataille au sein des deux Assemblées américaines. Sans compter l'administration Bush, qui est très opposée à ces textes. Dans cette lutte feutrée mais implacable, la position de la communauté juive américaine compte pour beaucoup. Ne serait-ce que moralement, car elle est dépositaire de la mémoire d'un autre génocide – l'Holocauste, bien sûr. Du coup, on comprend mieux les enjeux : si une des associations juives américaines les plus influentes venait à reconnaître le génocide arménien, cela donnerait des arguments décisifs à tous ceux qui, aux Etats-Unis, militent pour que le Congrès vote ces résolutions.

Zaman ne s'y est pas trompé, qui prévient que le vote de ces textes par le Congrès des Etats-Unis mettrait en péril les relations américano-turques – et, donc, la coopération de la Turquie en Irak et en Afghanistan.

En attendant, M. Foxman, qui avait pourtant lui-même pris la décision de virer son délégué régional, termine son communiqué par ces mots : "Après réflexion, nous sommes arrivés à la conclusion que les événements de 1915 pouvaient être qualifiés de génocide, et que si le concept avait existé à l'époque, il aurait immédiatement été employé. J'espère qu'Ankara comprendra qu'il revient aux amis de la Turquie de l'inviter à affronter ce sombre chapitre de son histoire et de travailler avec les Arméniens à la réconciliation." Mais l'ADL "s'oppose toujours à une résolution" du Congrès sur cette question, affirment les Nouvelles d'Arménie.
Anthony Bellanger

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