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Abeilles et pesticides
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La mort des abeilles met la planète en danger Les Echos 20/08/07
Les abeilles s'éteignent par milliards depuis quelques mois. Leur
disparition pourrait sonner le glas de l'espèce humaine.
C'est une incroyable épidémie, d'une violence et d'une ampleur
faramineuse, qui est en train de se propager de ruche en ruche sur
la planète. Partie d'un élevage de Floride l'automne dernier, elle a
d'abord gagné la plupart des Etats américains, puis le Canada et
l'Europe jusqu'à contaminer Taiwan en avril dernier. Partout, le
même scénario se répète : par milliards, les abeilles quittent les
ruches pour ne plus y revenir. Aucun cadavre à proximité. Aucun
prédateur visible, pas plus que de squatter pourtant prompt à
occuper les habitats abandonnés.
En quelques mois, entre 60 % et 90 % des abeilles se sont ainsi
volatilisées aux Etats-Unis où les dernières estimations chiffrent à
1,5 million (sur 2,4 millions de ruches au total) le nombre de
colonies qui ont disparu dans 27 Etats. Au Québec, 40 % des ruches
sont portées manquantes.
En Allemagne, selon l'association nationale des apiculteurs, le
quart des colonies a été décimé avec des pertes jusqu'à 80 % dans
certains élevages. Même chose en Suisse, en Italie, au Portugal, en
Grèce, en Autriche, en Pologne, en Angleterre où le syndrome a été
baptisé « phénomène «Marie-Céleste» », du nom du navire dont
l'équipage s'est volatilisé en 1872. En France, où les apiculteurs
ont connu de lourdes pertes depuis 1995 (entre 300.000 et 400.000
abeilles chaque année) jusqu'à l'interdiction du pesticide
incriminé, le Gaucho, sur les champs de maïs et de tournesol,
l'épidémie a également repris de plus belle, avec des pertes allant
de 15 % à 95 % selon les cheptels.
« Syndrome d'effondrement »
Légitimement inquiets, les scientifiques ont trouvé un nom à la
mesure de ces désertions massives : le « syndrome d'effondrement » -
ou « colony collapse disorder ». Ils ont de quoi être préoccupés :
80 % des espèces végétales ont besoin des abeilles pour être
fécondées. Sans elles, ni pollinisation, et pratiquement ni fruits,
ni légumes. « Trois quart des cultures qui nourrissent l'humanité en
dépendent », résume Bernard Vaissière, spécialiste des
pollinisateurs à l'Inra (Institut national de recherche
agronomique). Arrivée sur Terre 60 millions d'année avant l'homme,
Apis mellifera (l'abeille à miel) est aussi indispensable à son
économie qu'à sa survie. Aux Etats-Unis, où 90 plantes alimentaires
sont pollinisées par les butineuses, les récoltes qui en dépendent
sont évaluées à 14 milliards de dollars.
Faut-il incriminer les pesticides ? Un nouveau microbe ? La
multiplication des émissions électromagnétiques perturbant les
nanoparticules de magnétite présentes dans l'abdomen des abeilles ?
« Plutôt une combinaison de tous ces agents », assure le professeur
Joe Cummins de l'université d'Ontario. Dans un communiqué publié cet
été par l'institut Isis (Institute of Science in Society), une ONG
basée à Londres, connue pour ses positions critiques sur la course
au progrès scientifique, il affirme que « des indices suggèrent que
des champignons parasites utilisés pour la lutte biologique, et
certains pesticides du groupe des néonicotinoïdes, interagissent
entre eux et en synergie pour provoquer la destruction des abeilles
». Pour éviter les épandages incontrôlables, les nouvelles
générations d'insecticides enrobent les semences pour pénétrer de
façon systémique dans toute la plante, jusqu'au pollen que les
abeilles rapportent à la ruche, qu'elles empoisonnent. Même à faible
concentration, affirme le professeur, l'emploi de ce type de
pesticides détruit les défenses immunitaires des abeilles. Par effet
de cascade, intoxiquées par le principal principe actif utilisé -
l'imidaclopride (dédouané par l'Europe, mais largement contesté
outre-Atlantique et en France, il est distribué par Bayer sous
différentes marques : Gaucho, Merit, Admire, Confidore, Hachikusan,
Premise, Advantage...) -, les butineuses deviendraient vulnérables à
l'activité insecticide d'agents pathogènes fongiques pulvérisés en
complément sur les cultures.
Butineuses apathiques
Pour preuve, estime le chercheur, des champignons parasites de la
famille des Nosema sont présents dans quantités d'essaims en cours
d'effondrement où les butineuses, apathiques, ont été retrouvées
infectées par une demi-douzaine de virus et de microbes.
La plupart du temps, ces champignons sont incorporés à des
pesticides chimiques, pour combattre les criquets (Nosema locustae),
certaines teignes (Nosema bombycis) ou la pyrale du maïs (Nosema
pyrausta). Mais ils voyagent aussi le long des voies ouvertes par
les échanges marchands, à l'image de Nosema ceranae, un parasite
porté par les abeilles d'Asie qui a contaminé ses congénères
occidentales tuées en quelques jours.
C'est ce que vient de démontrer dans une étude conduite sur l'ADN de
plusieurs abeilles l'équipe de recherche de Mariano Higes installée
à Guadalajara, une province à l'est de Madrid réputée pour être le
berceau de l'industrie du miel espagnol. « Ce parasite est le plus
dangereux de la famille, explique-t-il. Il peut résister aussi bien
à la chaleur qu'au froid et infecte un essaim en deux mois. Nous
pensons que 50 % de nos ruches sont contaminées. » Or l'Espagne, qui
compte 2,3 millions de ruches, est le foyer du quart des abeilles
domestiques de l'Union européenne.
L'effet de cascade ne s'arrête pas là : il jouerait également entre
ces champignons parasites et les biopesticides produits par les
plantes génétiquement modifiées, assure le professeur Joe Cummins.
Il vient ainsi de démontrer que des larves de pyrale infectées par
Nosema pyrausta présentent une sensibilité quarante-cinq fois plus
élevée à certaines toxines que les larves saines. « Les autorités
chargées de la réglementation ont traité le déclin des abeilles avec
une approche étroite et bornée, en ignorant l'évidence selon
laquelle les pesticides agissent en synergie avec d'autres éléments
dévastateurs », accuse-t-il pour conclure. Il n'est pas seul à
sonner le tocsin. Sans interdiction massive des pesticides
systémiques, la planète risque d'assister à un autre syndrome
d'effondrement, craignent les scientifiques : celui de l'espèce
humaine. Il y a cinquante ans, Einstein avait déjà insisté sur la
relation de dépendance qui lie les butineuses à l'homme : « Si
l'abeille disparaissait du globe, avait-il prédit, l'homme n'aurait
plus que quatre années à vivre. »PAUL MOLGA
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