Assemblée Nationale - Philippe TOURTELIER – Séance du mardi 1er avril 2008
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Le débat que nous avons aujourd'hui sur les OGM est fondamental pour tout humaniste : il met en jeu notre attitude par rapport à la science, notre conception du progrès et notre responsabilité dans l'utilisation de la technique. Or le 21 ème siècle nous invite à nous interroger sur ces 3 notions : la science, le progrès et la responsabilité. Alors que savons-nous des OGM et des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) en particulier ? Sont-elles sources de progrès ? En quoi engagent-elles notre responsabilité vis à vis des générations futures ?
Que savons-nous des OGM ? La recherche a un immense domaine à explorer : il reste en particulier beaucoup d'incertitudes sur le fonctionnement du génome et ses interactions avec son environnement. L'affaire de la « vache folle » est là pour nous le rappeler : on ne sait toujours pas comment le prion a pu franchir certaines barrières et se retrouver dans le système nerveux. La biologie moléculaire n'est pas encore une science prédictive : elle constate de façon empirique le résultat apparent de ses manipulations, mais sans rien connaître des effets secondaires potentiels momentanément occultés. Lors des auditions de la mission d'information sur les OGM, on nous alertés sur les incertitudes liées aux techniques actuelles d'obtention des transgènes. La fabrication de nouveaux gènes dits « dormants » ne peut être exclue, gènes dont on ignore encore les fonctions potentielles qui pourraient se révéler dans un environnement donné.
Ce qui est acceptable dans une démarche de recherche, ne l'est plus dans une dissémination volontaire. Alors attendons la mise au point de techniques de « transgénèse propre », sur lesquelles la recherche travaille, pour avoir un transfert de gène plus contrôlé et plus efficace, c'est à dire un transgène placé dans un endroit connu du génome et en une seule copie.
Tout ceci devrait donc nous conduire à appliquer le principe de précaution : dynamiser la recherche pour lever les incertitudes et, en attendant, ne pas permettre les cultures commerciales de PGM.
Mais disent certains, vous ne croyez pas au Progrès puisque vous ne voulez pas développer les avantages apportés par les OGM.
La notion de développement durable nous a appris à raisonner constamment dans l'espace et dans le temps : ce qui est un progrès pour certains ne l'est pas forcément pour tous; ce qui semble un progrès à un moment donné peut s'avérer dangereux plus tard (le DDT, l'amiante...). Quels sont les avantages les plus souvent invoqués pour les PGM ? Sont-ils universels et fiables dans le temps ?
Les grandes cultures commerciales d'OGM répondent à la demande de certains agriculteurs (combien sont-ils ?), mais va à l'encontre des souhaits des ¾ des consommateurs. Quant aux bénéfices attendus par les agriculteurs, on manque singulièrement de recul pour les confirmer : avec les risques avérés d'insectes devenus résistants, et de prolifération de plantes sauvages devenues génétiquement modifiées, les meilleurs rendements du début seront-ils pérennes ? Rien n'est moins sûr... Sera-t-on amené à augmenter les doses de pesticides comme aux États Unis ? Avec quelles conséquences sur la santé ? Quelle sera l'attitude des consommateurs ? La précaution s'impose...
Pour les autres avantages liées aux PGM, dits de « 2eme génération », nous en sommes encore au stade de la recherche expérimentale. Il est possible que certaines régions du monde aient besoin un jour de PGM mieux adaptées par exemple à la sécheresse et aux milieux salins. La recherche doit se poursuivre mais en développant des méthodes plus fiables dans l'implantation des transgènes. Quant aux espoirs placés dans les « plantes alicaments » comme le fameux « riz doré »; je renvoie à ce qui est écrit dans le rapport sur les OGM de 2002 fait par les Académies de médecine et de pharmacie. Outre le risque d'allergie, il est noté : « Un préalable fondamental concerne le renforcement des études épidémiologiques. Ce préalable est particulièrement crucial pour les recherches qui visent la complémentation en micro nutriments dont les niveaux peuvent rapidement se révéler toxiques. » Ces études préalables pourtant « cruciales » n'ont pas été faites !
Un dernier argument est alors avancé pour justifier la culture des PGM. Il mérite d'être étudié : Comment se préparer à nourrir 9 milliards d'êtres humains en 2050 ? Aucune piste ne doit être délaissée. Mais aujourd'hui, la cause de la malnutrition de plus de 800 millions de personnes n'est pas le manque global de nourriture, mais une mauvaise répartition des richesses alimentaires, accentuée par l'orientation croissante de l'agriculture des pays émergents vers l'export au détriment des cultures vivrières.
L'agriculture intensive, avec son dernier avatar que sont les grandes cultures de PGM, amplifie ces dysfonctionnements. Par ailleurs, le caractère irréversible de la progression des PGM là où elles ont été acceptées ou imposées, lié au brevetage du vivant, en fait une arme alimentaire qui permettra à terme à quelques multinationales de contrôler par le biais des semences le marché de l'alimentation de la planète, privant les pays de leurs souveraineté alimentaire.
Tout ceci est contraire d'abord aux conclusions du Grenelle de l'environnement, ensuite au principe de précaution que nous avons inscrit dans notre Constitution.
En conclusion, quel constat ?
Une science encore très incertaine dans ses connaissances et ses méthodes des progrès mal assurés ou actuellement virtuels, des risques potentiellement irréversibles, très importants : rien ne peut justifier l'urgence de l'autorisation des cultures commerciales d'OGM. Ce projet de loi de loi ne doit pas être celui du reniement du principe de précaution et du Grenelle de l'Environnement.
Aujourd'hui, prenons nos responsabilités en laissant le choix de leur alimentation aux générations futures.
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