mardi 9 avril 2013

Le procès qui changera la loi ?

Tiré de

Le procès du porte-parole des Cannabis social clubs


Dominique Broc avant son procès à Tours le 8 avril 2013 (photo Clément Martel)

Le procès de Dominique Broc, le “père fondateur” du Cannabis social club français, s’est déroulé à Tours ce lundi en présence de nombre de ses supporters. Au programme : de la liberté fondamentale, quelques leçons de droit et une once de manif pour tous. Le procureur a requis huit mois de prison avec sursis.

“Nous soutenons Dominique Broc !“ Criée dans un mégaphone par Farid Ghehioueche, figure de la lutte pour la légalisation, la formule s’attire sifflets et huées de la foule amassée dans la rue. Puis d’autres la reprennent en cœur, soutenus par un didgeridoo. Au sommet des marches du tribunal de grande instance tourangeau, Dominique Broc observe la scène dans un sourire. C’est le grand jour.
Le 21 février dernier, il a été interpellé et sa production saisie. “126 plants de cannabis et 26 grammes d’herbe”, indique le procès-verbal. Broc ne s’est pas débattu, et il a suivi les forces de l’ordre. Il ne veut pas se cacher : consommateur de cannabis, il l’est. Mais pas question qu’on prélève son ADN : il ne se considère pas comme un criminel. Depuis toujours, ou presque, Dominique Broc revendique la consommation de cannabis, et en déposant en préfecture les statuts du Cannabis social club français (CSCF), son combat a largement été médiatisé. Il comparaît au tribunal ce lundi, poursuivi pour “détention de stupéfiants” et refus de se soumettre au test ADN. Et il entend bien faire de ce procès une tribune “pour faire évoluer la loi”.
“Prohibition, piège à cons”
On est venu de loin pour soutenir le jardinier. A l’appel des “Amis du CSCF”, le peuple de l’herbe a répondu présent (environ 150 personnes ont fait le déplacement). Parmi les gens présents, on trouve un Palois, des Parisiens, un Hyérois, des Lorrains, etc. Tous ne font pas encore partie d’un Cannabis social club, mais ils sont là pour “une cause juste”, explique Yann, qui arrive de l’Ain. Et d’ajouter : “la guerre aux drogues est perdue, il faut le reconnaître. Maintenant il faut qu’on fasse la paix”. Tous ne sont pas des consommateurs de cannabis : ainsi Marie Bové, “fille de” et élue EELV à la région Aquitaine, affirme être “allergique au THC” mais est venue dénoncer la “prohibition, piège à cons”.
Forte affluence dans la salle d’audience n°17 du tribunal tourangeau. Outre les médias venus couvrir l’affaire, les soutiens de Dominique Broc sont dans la place. Alors que la Cour juge les quelques affaires précédant celle du jour (un type qui a escroqué deux vieilles dames et deux cas de trafic de stupéfiants, entre autres), certains découvrent le fonctionnement de la justice (“ah, il faut se lever ?”), d’autres feuillettent le dernier numéro de la Gazette du Chanvre.
Arrive le procès. Le président exige “des réponses claires à ses questions, le reste ce n’est pas le sujet”. À la barre, Dominique Broc répond, bafouille parfois, précise “il n’y a pas de mineurs dans nos clubs” quand le président présente les CSC. Après quelques balles de fond de cour, l’échange s’installe : “je croyais que [les CSC] étaient un mouvement d’envergure nationale”, ironise le président face au petit nombre de Cannabis social clubs (cinq) déclarés en préfecture.
“On joue sur les mots, là”, “non, c’est le droit !”
Il y a comme une odeur de printemps sur Tours. Sur la place de la gare, les cerisiers en fleur colorent de rose la ville en travaux, mais devant le tribunal, c’est un autre parfum qui flotte. Les amis du CSC font un “shit-in” en attendant la fin de l’audience.
Dans la salle, c’est un dialogue de sourd. Alors que Dominique Broc met l’accent sur sa liberté, le président, lui, parle de la loi : “Pourquoi tenez-vous absolument à vous mettre hors-la-loi ? Peut-être qu’un jour les choses changeront, mais en l’état actuel, c’est interdit“. Le père du peuple de l’herbe essaie de transformer cette salle d’audience en tribune pour que la loi change, l’assemblée applaudit, un cri fuse. Une fois, pas deux : le président menace de faire évacuer la salle.
Broc l’avait annoncé, il souhaite être jugé devant une cour d’Assises, comme le prévoit la loi en cas de production de stupéfiants. Il demande au tribunal de se dessaisir, et revendique cultiver du cannabis. “Vous n’êtes pas là pour la production, vous êtes là pour détention”, lui explique le magistrat. “On joue sur les mots, là”, “non, c’est le droit”. Cours de droit en salle d’audience : dans son réquisitoire, le procureur explique le “principe d’opportunité des poursuites“. Parle d’un “procès-piège” transformé en tribune politique, lance une petite pique aux médias nationaux présents dans la salle, puis rappelle le “rôle restreint de ce tribunal : on est là pour déterminer si monsieur Broc a violé la loi“. Il requiert huit mois d’emprisonnement avec sursis.
Rosa Parks et Gisèle Halimi convoquées
Au tour de Maître Philippe Baron de prendre la parole. L’avocat de Dominique Broc se présente d’emblée comme l’antithèse de ce “soit utopiste, soit dingue, soit avant-gardiste“. Et il met l’accent sur la désobéissance civile. Nouveau cours de droit, sous un grand portrait classique de Napoléon empereur : sont convoqués à la barre Rosa Parks, Martin Luther King et le combat pour l’avortement mené par Gisèle Halimi. S’appuyant sur les textes de Thoreau sur la désobéissance civile et le rapport de l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant pour la légalisation, il s’affirme “persuadé que Dominique Broc a fait le bon choix en bravant la loi”.
Le tribunal est devenu tribune. “La thèse du Cannabis social club, c’est ce rapport”, lance l’orateur, avant de citer l’ancien ministre de l’Intérieur : “il faut sortir de cette hypocrisie, cela m’affole”. Et de rappeler que légaliser n’est pas dépénaliser, mais encadrer. Pour finir, Maître Baron demande au juge d’aller jusqu’au bout, jusqu’aux Assises, pour que la loi de 1970, “absolument inadaptée“, change. Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 18 avril. De toute façon, réagit un “ami du CSCF”, ce n’est qu’un début : “tout le monde espère que ça va se finir à la Cour européenne des droits de l’homme”. Avant, espère-t-il, une nouvelle loi en France.
Clément Martel

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