mercredi 20 août 2008

Chic, c'est bientôt la rentrée

Ce texte est assez parlant pour que je ne m'étale pas en commentaires ... Vive la droite décomplexée et la mondialisation ...

3 octobre 2012


Enzo est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP.
Il porte la vieille blouse de son frère, éculée, tâchée, un peu
grande. Celle de Jean-Emilien, au premier rang, est toute neuve et
porte le logo d'une grande marque.

La maîtresse parle, mais il a du mal à l'entendre, du fond de la
classe. Trop de bruit.

La maîtresse est une remplaçante, une dame en retraite qui vient
remplacer leur maîtresse en congés maternité.
Il ne se souvient pas plus de son nom qu'elle ne se souvient du sien.
Sa maîtresse a fait la rentrée, il y a trois semaines, puis est partie
en congés.

La vieille dame de 65 ans est là depuis lundi, elle est un peu sourde,
mais gentille. Plus gentille que l'intérimaire avant elle. Il sentait
le vin et criait fort. Puis il expliquait mal.

Du coup Enzo ne comprend pas bien pourquoi B et A font BA, mais pas
dans BANC ni dans BAIE ; ni la soustraction ; ni pourquoi il doit
connaître toutes les dates des croisades.

On l'a mis sur la liste des élèves en difficulté, car il a raté sa
première évaluation. Il devra rester de
12 à 12h30 pour le soutien. Sans doute aussi aux vacances.

Hier, il avait du mal à écouter la vieille dame, pendant le soutien ;
son ventre gargouillait. Quand il est arrivé à la cantine, il ne
restait que du pain. Il l'a mangé sous le préau avec ceux dont les
parents ne peuvent déjà plus payer la cantine.

Il a commencé l'école l'an dernier, à 5 ans.
L'école maternelle n'est plus obligatoire, c'est un choix des mairies,
et la mairie de son village ne pouvait pas payer pour maintenir une
école.

Son cousin Brice a eu plus de chance : il est allé à l'école à 3 ans,
mais ses parents ont dû payer.

La sieste, l'accueil et le goûter n'existent plus, place à la morale,
à l'alphabet ; il faut vouvoyer les adultes, obéir, ne pas parler et
apprendre à se débrouiller seul pour les habits et les toilettes : pas
assez de personnel. Les enseignants, mal payés par la commune, gèrent
leurs quarante élèves chacun comme une garderie. L'école privée en
face a une vraie maternelle, mais seuls les riches y ont accès. Mais
Brice a moins de mal, malgré tout, à comprendre les règles de l'école
et ses leçons de CP. En plus, le soir il va à des cours particuliers,
car ses parents ne peuvent pas l'aider pour les devoirs, ils font trop
d'heures supplémentaires.

Mais Enzo a toujours plus de chance que son voisin Kévin :
il doit se lever plus tôt et livrer les journaux avant de venir à
l'école, pour aider son grand-père, qui n'a presque pas de retraite.

Enzo est au fond de la classe. La chaise à côté de lui est vide. Son
ami Saïd est parti, son père a été expulsé le lendemain du jour où le
directeur (un gendarme en retraite choisi par le maire) a rentré le
dossier de Saïd dans Base Élèves. Il ne reviendra jamais. Enzo
n'oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police, à
côté de son père menotté. Il parait qu'il n'avait pas de papiers...
Enzo fait très attention : chaque matin il met du papier dans son
cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.

Du fond, Enzo ne voit pas bien le tableau. Il est trop loin, et il a
besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il
faut payer l'assurance, et ses parents n'ont pas les moyens.
L'an prochain Enzo devra prendre le bus pour aller à l'école. Il devra
se lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L'EPEP (établissements
publics d'enseignement primaire) qui gère son école a décidé de
regrouper les CP dans le village voisin, pour économiser un poste
d'enseignant. Ils seront 36 par classe. Que des garçons. Les filles
sont dans une autre école.

Enzo se demande si après le CM2 il ira au collège ou, comme son grand
frère Théo, en centre de préformation professionnelle. Peut-être que
les cours en atelier seront moins ennuyeux que toutes ces leçons à
apprendre par cœur. Mais sa mère dit qu'il n'y a plus de travail, que
ça ne sert à rien. Le père d'Enzo a dû aller travailler en Roumanie,
l'usine est partie là-bas. Il ne l'a pas vu depuis des mois. La
délocalisation, ça s'appelle, à cause de la mondialisation.

Pourtant la vieille dame disait hier que c'est très bien, la
mondialisation, que ça apportait la richesse. Ils sont fous, ces
Roumains !

Il lui tarde la récréation. Il retrouvera Cathy, la jeune sœur de
maman. Elle fait sa deuxième année de stage pour être maîtresse dans
l'école, dans la classe de monsieur Luc. Il remplace monsieur Jacques,
qui a été renvoyé, car il avait fait grève. On dit que c'était un
syndicaliste qui faisait de la pédagogie. Il y avait aussi madame
Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec des vrais
livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini
par démissionner.

Cathy a les yeux cernés : le soir elle est serveuse dans un café, car
sa formation n'est pas payée. Elle dit :
« A 28 ans et un bac +5, servir des bières le soir et faire la classe
la journée, c'est épuisant. » Surtout qu'elle dort dans le salon chez
Enzo, elle n'a pas assez d'argent pour se payer un loyer.

Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale, avec
l'abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d'Arc et les dix
commandements par cœur.
C'est lui qui organise le voyage scolaire à Lourdes, à Pâques. Sauf
pour ceux qui seront convoqués pour le soutien...

Enzo se demande pourquoi il est là.


Pourquoi Saïd a dû partir ?
Pourquoi Cathy et sa mère pleurent la nuit ?
Pourquoi et comment les usines s'en vont en emportant le travail ?
Pourquoi ils sont si nombreux en classe ?
Pourquoi il n'a pas une maîtresse toute l'année ?
Pourquoi il devra prendre le bus ?
Pourquoi il passe ses vacances à faire des stages.
Pourquoi on le punit ainsi ?
Pourquoi il n'a pas de lunettes ?
Pourquoi il a faim ?


Projection basée sur les textes actuels, les expérimentations en cours
et les annonces du gouvernement.



Est-ce l'école que nous voulons ?
Le gouvernement a-t'il reçu un mandat populaire pour cela ?
Qu'attendons-nous pour réagir ?

Des enseignants en colère qui aimeraient que l'on sache être ambitieux
pour l'école.

PS : si vous soutenez notre action, svp, prenez le temps d'en parler
autour de vous ou de relayez ce courriel à votre propre carnet
d'adresses. D'avance, merci

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