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Les altermondialistes avaient raison
Mis en ligne le 30/03/2013Arnaud Zacharie Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11)Le Forum social mondial, organisé à Tunis du 26 au 30 mars, s’est déroulé dans un contexte paradoxal : alors que les faits ont confirmé les analyses développées, depuis le début des années 2000, par les altermondialistes, et que le monde fait face à une succession inquiétante de crises globales - financière, économique, environnementale, sociale -, les alternatives altermondialistes restent largement absentes des décisions gouvernementales internationales.
Depuis le premier Forum social mondial, organisé en 2001 à Porto Alegre, les altermondialistes ont, en effet, dénoncé les dérives d’une mondialisation essentiellement fondée sur la déréglementation financière et la course à la compétitivité sans limite.
Les principaux problèmes ciblés furent l’instabilité financière provoquée par la libéralisation des mouvements de capitaux internationaux et la spéculation à court terme; les dégâts environnementaux causés par un modèle de développement insoutenable; les inégalités et l’insécurité sociale générées par la mise en concurrence des Etats et des travailleurs, suite aux stratégies de localisation des firmes transnationales dont la liberté d’action a été promue par l’OMC et le FMI; l’évasion fiscale et la criminalité financière facilitées par la prolifération des paradis fiscaux.
Aujourd’hui, la succession de crises globales démontre que les altermondialistes avaient raison, et que les alternatives qu’ils tentent de promouvoir depuis une douzaine d’années sont plus pertinentes que jamais. En effet, la régulation du système bancaire et financier international, la transition socio-écologique vers une économie "bas-carbone", la mondialisation du travail décent, le démantèlement des paradis fiscaux ou la taxation des transactions financières internationales sont autant de solutions qui permettraient de sortir de la crise mondiale actuelle. Pourquoi ne voient-elles dès lors pas concrètement le jour ?
Le principal obstacle semble concerner l’absence de débouché politique à l’échelle adéquate. Alors que les crises globales, qui sont le reflet de la crise de la mondialisation et de toutes ses interdépendances, nécessitent des réponses politiques à l’échelle internationale, le monde fait face à une crise du multilatéralisme qui s’explique à la fois par les tentations de repli sur soi et par l’émergence d’un ordre mondial multipolaire. D’une part, comme ce fut le cas lors de la précédente crise mondiale dans les années 1930, des forces national-populistes tirent profit de la crise en laissant croire que le repli nationaliste est susceptible d’apporter les réponses adéquates à une crise dont les racines sont pourtant clairement internationales.
D’autre part, le basculement du pouvoir mondial, suite au transfert progressif du centre de gravité de l’économie mondiale des Etats-Unis vers la Chine, bouleverse l’ordre mondial et rend de plus en plus complexe la prise de décisions politiques ambitieuses et cohérentes à l’échelle internationale. Par conséquent, le nécessaire "New Deal mondial" est jusqu’à aujourd’hui resté dans les limbes.
Comme lors de la crise mondiale des années 1930, les clivages politiques se polarisent, sur fond de crise de légitimité du marché autorégulateur, entre les alternatives nationalistes et conservatrices portées par les forces national-populistes, d’une part, et les alternatives internationalistes et progressistes portées par les forces altermondialistes, d’autre part. Que ce soit la réglementation bancaire et financière, la transition énergétique, l’intégration de normes sociales et environnementales dans le commerce mondial, la lutte contre l’évasion fiscale ou la taxation des transactions financières internationales, les alternatives altermondialistes font désormais partie du débat politique international. Toutefois, les gouvernements restent focalisés sur leurs problèmes internes et continuent d’espérer, moyennant quelques sacrifices de leur population, pouvoir relancer le système sur les mêmes bases que par le passé, comme le leur conseillent les lobbies économiques et financiers.
Ne continuons-nous pas d’entendre que la réglementation des banques diminuerait le financement de l’économie (alors que le problème est précisément que les banques utilisent la majeure partie de leurs moyens à spéculer plutôt qu’à financer l’économie réelle), qu’il est nécessaire de diminuer le coût du travail pour être plus compétitif (alors que c’est précisément le dumping social généralisé qui a provoqué les pressions déflationnistes actuelles) ou que la réduction des émissions de gaz à effet de serre entraînerait un coût économique excessif (alors que le coût de l’inaction sera bien plus élevé que celui de l’action) ? Le caractère systémique de la crise mondiale nécessite pourtant de changer de logiciel politique et de promouvoir un modèle de développement économique stable, soutenable et équitablement réparti.
A défaut, les forces national-populistes, qui ont l’avantage de pouvoir appliquer leurs solutions de repli sur soi à l’échelle où elles se présentent aux élections, continueront leur progression, et la crise de la globalisation se doublera, comme ce fut le cas dans les années 1930, d’une crise des institutions démocratiques et du système politique mondial.
A l’image du contexte tunisien, où le Forum social mondial a été organisé et où les forces intégristes douchent les espoirs engendrés par les revendications progressistes du "printemps arabe", le monde se trouve à la croisée des chemins. On ne sortira, en effet, pas de la crise mondiale en relançant le système sur les mêmes bases déséquilibrées que par le passé, ni par des mesures nationalistes de repli sur soi à une échelle inadaptée aux défis posés par la mondialisation, mais bien en créant de nouveaux espaces démocratiques et en instaurant de nouvelles formes de régulation à l’échelle internationale.