AMÉRIQUE DU SUD. L’Uruguay en passe de devenir le premier pays à contrôler le marché du cannabis
Le Sénat uruguayen a commencé mardi à débattre du projet de loi régulant la production et la commercialisation du cannabis, expérience sans précédent dans le monde allant plus loin que les initiatives lancées notamment aux Pays-Bas ou en Espagne.
«La guerre contre les drogues a échoué», a justifié dès l’ouverture des débats le sénateur Roberto Conde, membre de la coalition de gauche au pouvoir, le Frente amplio, qui dispose de la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement, a constaté une journaliste de l’AFP.
Déjà approuvée par les députés, la loi, qui ne sera mise en oeuvre au mieux qu’en avril 2014, confèrerait à l’Etat la mainmise sur la culture et la vente du cannabis à des fins récréatives, repoussant les limites des expériences menées dans les Etats américains du Colorado et de Washington, aux Pays-Bas ou en Espagne, qui autorisent ou tolèrent la production de cannabis dans un cadre privé.
Selon le sénateur Conde, le texte cherche également à concilier libertés individuelles et protection de la santé, mais veut aussi régler une «grotesque incongruité juridique» : en effet, en Uruguay, l’usage de cannabis n’est pas puni, à l’inverse de sa culture et de sa vente.
«Il existe beaucoup de doutes. Et le doute est légitime, mais le doute ne doit pas nous paralyser pour emprunter de nouvelles voies face à un problème qui nous affecte», a déclaré le président Jose Mujica, à l’origine du projet, à une télévision locale.
En appelant à «l’audace», le président a reconnu que «nous ne sommes pas totalement préparés» mais a plaidé pour que l’on «accorde une chance» à cette initiative pionnière.
Dans les rangs du public au Sénat, Hernan Delgado, partisan du texte, estime que «la loi va permettre de modifier la vision de la société envers les consommateurs de drogues».
Le débat au Sénat promet de se prolonger jusqu’à la nuit. En fin d’après-midi, un manifestation a été convoquée devant le Parlement par des associations favorables au texte.
La loi prévoit trois modes d’accès au produit: l’auto-culture, la culture dans des clubs de consommateurs et la vente en pharmacie, sous contrôle public (40 grammes maximum par mois). Toute publicité sera interdite et les cultivateurs ou consommateurs - des résidents obligatoirement majeurs - devront s’inscrire sur un registre national.
Opposition de la population
Plus de 60% de la population rejette cependant ce projet, critiqué par toute l’opposition, certains professionnels de santé et des pharmaciens, qui devraient vendre le produit.
Le gouvernement, qui a lancé la semaine dernière une campagne sur les dangers de «toutes» les drogues, présente la loi comme un moyen de réduire les risques liés à la consommation de stupéfiants.
Le cannabis représente 70% de la consommation de drogues en Uruguay, et son usage s’est largement répandu ces 10 dernières années. Les autorités évoquent le chiffre de 128.000 usagers, contre 200.000 selon les associations de consommateurs.
L’idée de cette première mondiale a été lancée il y a un an et demi par le président Mujica, 78 ans, ex-guérillero torturé sous la dictature (1973-1985) élu fin 2009 et connu pour son pragmatisme et son style de vie modeste.
Il a déjà fait voter d’importantes lois sociétales comme la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse et l’union des couples homosexuels.
Un autre objectif de M. Mujica est de priver les narcotrafiquants d’une importante source de revenus, alors que la lutte contre le trafic de drogue coûte environ 60 millions d’euros par an au pays.
AFP
“Nous soutenons Dominique Broc !“ Criée dans un
mégaphone par Farid Ghehioueche, figure de la lutte pour la
légalisation, la formule s’attire sifflets et huées de la foule amassée
dans la rue. Puis d’autres la reprennent en cœur, soutenus par un
didgeridoo. Au sommet des marches du tribunal de grande instance
tourangeau, Dominique Broc observe la scène dans un sourire. C’est le
grand jour.
Le 21 février dernier, il a été interpellé et sa production saisie.
“126 plants de cannabis et 26 grammes d’herbe”, indique le
procès-verbal. Broc ne s’est pas débattu, et il a suivi les forces de
l’ordre. Il ne veut pas se cacher : consommateur de cannabis, il l’est.
Mais pas question qu’on prélève son ADN : il ne se considère pas comme
un criminel. Depuis toujours, ou presque, Dominique Broc revendique la
consommation de cannabis, et en déposant en préfecture les statuts du
Cannabis social club français (CSCF), son combat a largement été médiatisé.
Il comparaît au tribunal ce lundi, poursuivi pour “détention de
stupéfiants” et refus de se soumettre au test ADN. Et il entend bien
faire de ce procès une tribune “pour faire évoluer la loi”.
“Prohibition, piège à cons”
On est venu de loin pour soutenir le jardinier. A l’appel des “Amis
du CSCF”, le peuple de l’herbe a répondu présent (environ 150 personnes
ont fait le déplacement). Parmi les gens présents, on trouve un Palois,
des Parisiens, un Hyérois, des Lorrains, etc. Tous ne font pas encore
partie d’un Cannabis social club, mais ils sont là pour “une cause juste”, explique Yann, qui arrive de l’Ain. Et d’ajouter : “la guerre aux drogues est perdue, il faut le reconnaître. Maintenant il faut qu’on fasse la paix”.
Tous ne sont pas des consommateurs de cannabis : ainsi Marie Bové,
“fille de” et élue EELV à la région Aquitaine, affirme être “allergique au THC” mais est venue dénoncer la “prohibition, piège à cons”.
Forte affluence dans la salle d’audience n°17 du tribunal tourangeau.
Outre les médias venus couvrir l’affaire, les soutiens de Dominique
Broc sont dans la place. Alors que la Cour juge les quelques affaires
précédant celle du jour (un type qui a escroqué deux vieilles dames et
deux cas de trafic de stupéfiants, entre autres), certains découvrent le
fonctionnement de la justice (“ah, il faut se lever ?”), d’autres feuillettent le dernier numéro de la Gazette du Chanvre.
Arrive le procès. Le président exige “des réponses claires à ses questions, le reste ce n’est pas le sujet”. À la barre, Dominique Broc répond, bafouille parfois, précise “il n’y a pas de mineurs dans nos clubs” quand le président présente les CSC. Après quelques balles de fond de cour, l’échange s’installe : “je croyais que [les CSC] étaient un mouvement d’envergure nationale”, ironise le président face au petit nombre de Cannabis social clubs (cinq) déclarés en préfecture.
“On joue sur les mots, là”, “non, c’est le droit !”
Il y a comme une odeur de printemps sur Tours. Sur la place de la
gare, les cerisiers en fleur colorent de rose la ville en travaux, mais
devant le tribunal, c’est un autre parfum qui flotte. Les amis du CSC
font un “shit-in” en attendant la fin de l’audience.
Dans la salle, c’est un dialogue de sourd. Alors que Dominique Broc
met l’accent sur sa liberté, le président, lui, parle de la loi : “Pourquoi
tenez-vous absolument à vous mettre hors-la-loi ? Peut-être qu’un jour
les choses changeront, mais en l’état actuel, c’est interdit“. Le
père du peuple de l’herbe essaie de transformer cette salle d’audience
en tribune pour que la loi change, l’assemblée applaudit, un cri fuse.
Une fois, pas deux : le président menace de faire évacuer la salle.
Broc l’avait annoncé, il souhaite être jugé devant une cour d’Assises, comme le prévoit la loi en cas de production de stupéfiants. Il demande au tribunal de se dessaisir, et revendique cultiver du cannabis. “Vous n’êtes pas là pour la production, vous êtes là pour détention”, lui explique le magistrat. “On joue sur les mots, là”, “non, c’est le droit”. Cours de droit en salle d’audience : dans son réquisitoire, le procureur explique le “principe d’opportunité des poursuites“.
Parle d’un “procès-piège” transformé en tribune politique, lance une
petite pique aux médias nationaux présents dans la salle, puis rappelle
le “rôle restreint de ce tribunal : on est là pour déterminer si
monsieur Broc a violé la loi“. Il requiert huit mois d’emprisonnement
avec sursis.
Rosa Parks et Gisèle Halimi convoquées
Au tour de Maître Philippe Baron de prendre la parole. L’avocat de
Dominique Broc se présente d’emblée comme l’antithèse de ce “soit
utopiste, soit dingue, soit avant-gardiste“. Et il met l’accent sur la
désobéissance civile. Nouveau cours de droit, sous un grand portrait
classique de Napoléon empereur : sont convoqués à la barre Rosa Parks,
Martin Luther King et le combat pour l’avortement mené par Gisèle
Halimi. S’appuyant sur les textes de Thoreau sur la désobéissance civile et le rapport de l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant pour la légalisation, il s’affirme “persuadé que Dominique Broc a fait le bon choix en bravant la loi”.
Le tribunal est devenu tribune. “La thèse du Cannabis social club, c’est ce rapport”, lance l’orateur, avant de citer l’ancien ministre de l’Intérieur : “il faut sortir de cette hypocrisie, cela m’affole”.
Et de rappeler que légaliser n’est pas dépénaliser, mais encadrer. Pour
finir, Maître Baron demande au juge d’aller jusqu’au bout, jusqu’aux
Assises, pour que la loi de 1970, “absolument inadaptée“, change. Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 18 avril. De toute façon, réagit un “ami du CSCF”, ce n’est qu’un début : “tout le monde espère que ça va se finir à la Cour européenne des droits de l’homme”. Avant, espère-t-il, une nouvelle loi en France.
Clément Martel